Source: Human Rights Watch (HRW) |

Rwanda : La répression contre l’opposition et les médias s’intensifie

L’espace pour les voix dissidentes se ferme

Le dernier coup de filet du gouvernement rwandais démontre son refus de tolérer le débat et la critique

NAIROBI, Kenya, 19 octobre 2021/APO Group/ --

 Les autorités rwandaises ont arrêté neuf personnes liées à un parti d'opposition ainsi qu'un journaliste au cours de cette dernière semaine, dans une période où elles intensifient leur répression contre les opposants et les détracteurs, a déclaré Human Rights Watch. Ces mesures répressives semblent être liées au « Ingabire Day », un évènement organisé par le parti d'opposition non enregistré Dalfa-Umurinzi, prévu pour le 14 octobre 2021 afin de discuter notamment de la répression politique au Rwanda.

Théoneste Nsengimana, un journaliste qui avait prévu de couvrir l'événement et d'animer une discussion sur sa chaîne YouTube avec Victoire Ingabire, la dirigeante du parti, a été arrêté le 13 octobre.

Plusieurs membres et représentants régionaux du parti -- Sylvain Sibomana, Alexis Rucubanganya, Hamad Hagengimana et Jean-Claude Ndayishimiye -- ont été arrêtés à leurs domiciles dans la soirée du 13 octobre, ainsi que Joyeuse Uwatuje, une amie proche et assistante personnelle de Victoire Ingabire.

Selon des sources au sein de Dalfa-Umurinzi, Alphonse Mutabazi a été arrêté dans la matinée du 14 octobre, tandis que Marcel Nahimana, le Secrétaire général du parti, et Emmanuel Masengesho, ont été arrêtés dans la soirée du 14 octobre. Régine Kadoyimana, administratrice et assistante au sein du parti, a été arrêtée le 16 octobre à son domicile à Kigali, la capitale.

« Le dernier coup de filet du gouvernement rwandais démontre son refus de tolérer le débat et la critique », a expliqué Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Ces arrestations manifestement arbitraires et politiques sont destinées à dissuader davantage les personnes de s'exprimer contre la politique ou les abus du gouvernement. »

L'Office rwandais d'investigation (Rwanda Investigation Bureau, RIB) a annoncé dans un tweet tard le 13 octobre que Théoneste Nsengimana et cinq autres personnes non nommées avaient été placés en garde à vue pour « *publication de rumeurs visant à inciter au soulèvement ou des troubles au sein de la population *». Le RIB a aussi averti ceux qui utilisent les réseaux sociaux qu'ils devaient éviter de « porter atteinte à la sécurité nationale » et « inciter à la division ». Le bureau d'investigation n'a pas reconnu publiquement l'arrestation des quatre autres personnes.

Selon des sources au sein du parti, les dix personnes ont été arrêtées dans différentes régions du pays. Toutes, à l'exception de Kadoyimana, sont actuellement détenues au poste de police de Remera, à Kigali. Kadoyimana serait détenue au poste de police de Kicukiro, mais Human Rights Watch n'a pas pu confirmer cette information. Toutes ont reçu la visite d'un avocat. Le porte-parole du RIB n'a pas répondu aux demandes d'informations de Human Rights Watch. Le 18 octobre, un agent du RIB a appelé Victoire Ingabire pour la convoquer au siège du bureau d'investigation à Kigali, mais au moment de la publication de ce communiqué, elle ne s'y était pas encore rendue.

Les lois rwandaises permettent, grâce à des dispositions excessivement larges et vagues, des limitations arbitraires de la liberté de parole qui violent le droit à la liberté d'expression et les protections de la liberté des médias consacrés par le droit international. L'une des lois utilisées pour limiter la liberté de parole est la Loi sur la prévention et la répression de la cybercriminalité, qui interdit la publication de « rumeurs », passible d'une peine maximale de cinq ans de prison et d'une amende allant jusqu'à trois millions de francs rwandais (3 000 USD).

Cependant, le seul fait que les informations soient véridiques ou non ne constitue pas en soi une base légitime pour criminaliser la liberté de parole en vertu du droit international. Ces accusations sont totalement inappropriées et mettent en évidence la manipulation du système judiciaire pour étouffer la critique et intimider le public, a indiqué Human Rights Watch. Les dix personnes arrêtées devraient toutes être libérées immédiatement et sans conditions.

Victoire Ingabire, l'ancienne présidente du parti d'opposition non enregistré FDU-Inkingi, avant de créer le Dalfa-Umurinzi en novembre 2019, a été condamnée à 15 ans de prison pour conspiration en vue de déstabiliser le gouvernement en place et pour négation du génocide après qu'elle a tenté de contester l'élection présidentielle de 2010. Elle a finalement été graciée et libérée en septembre 2018.

Sylvain Sibomana, alors Secrétaire général des FDU-Inkingi, a d'abord été arrêté avec un autre membre du parti, Anselme Mutuyimana, en 2012 et a été accusé d'avoir organisé une réunion illégale dans un bar. Anselme Mutuyimana a été libéré en 2018, mais il a été retrouvé mort dans des circonstances mystérieuses en mars 2019. Sylvain Sibomana a été libéré en 2021.

Théoneste Nsengimana avait auparavant été arrêté en avril 2020, avec trois autres blogueurs et un chauffeur collaborant avec des chaînes YouTube rwandaises qui réalisaient des reportages sur l'impact des directives liées au Covid-19 sur les populations vulnérables. Théoneste Nsengimana, Dieudonné Niyonsenga, connu sous le nom de « Cyuma Hassan », propriétaire d'Ishema TV, et son chauffeur Fidèle Komezusenge avaient alors été mis en examen.

Théoneste Nsengimana a été placé en détention provisoire pour des accusations de fraude, mais il a été libéré en mai 2020 par manque de preuves. Dieudonné Niyonsenga et Fidèle Komezusenge ont été accusés de falsifier des documents, de se faire passer pour des journalistes et d'entraver des travaux publics, mais ils ont tous deux été acquittés le 12 mars 2021. Le ministère public a fait appel de l'acquittement et l'audience doit se dérouler en novembre.

Le 14 octobre 2021, la Commission rwandaise des médias a publié une déclaration indiquant que Dieudonné Niyonsenga n'était pas journaliste. La définition étroite au Rwanda du journaliste, à savoir « toute personne ayant les connaissances journalistiques de base et exerçant le journalisme comme sa première profession », va à l'encontre des normes internationales et a permis au gouvernement de poursuivre des blogueurs ayant réalisé d'importants reportages d'intérêt public, a expliqué Human Rights Watch.

En mars, Human Rights Watch a documenté la répression croissante à l'encontre des personnes utilisant YouTube pour faire des reportages sur les atteintes aux droits humains et sur les affaires courantes, et pour animer des discussions politiques. Entre mars 2020 et mars 2021, au moins huit personnes faisant des reportages ou commentant les affaires courantes ont été menacées, arrêtées, poursuivies ou ont « disparu » dans des circonstances mystérieuses.

Des commentateurs en ligne comme Yvonne Idamange et Aimable Karasira ont aussi utilisé leurs vidéos pour parler du génocide de 1994, des crimes commis par le Front patriotique rwandais (RPF) au pouvoir au lendemain du génocide et des commémorations des meurtres par le gouvernement.

Yvonne Idamange, une survivante tutsie du génocide qui a accusé le gouvernement de monnayer le génocide et a appelé à une manifestation, a été reconnue coupable, lors d'un procès tenu à huis clos, d'incitation à la violence et à l'insurrection, de dénigrement des mémoriaux du génocide, de propagation de rumeurs et d'agression, entre autres chefs d'inculpation le 30 septembre. Elle a été condamnée à 15 ans de prison. Le 31 mai, Aimable Karasira a été arrêté pour des accusations incluant négation et justification du génocide et incitation aux divisions, et n'a pas encore été jugé.

Ces dernières années, plusieurs membres des FDU-Inkingi, parti devenu Dalfa-Umurinzi, ont rapporté avoir été détenus au secret, frappés et interrogés sur leur adhésion au parti. En janvier 2020, six membres ont été condamnés pour des chefs d'accusation comprenant la constitution de forces armées irrégulières ou la collaboration avec de telles forces et des crimes contre l'État. Parmi les personnes condamnées figuraient Boniface Twagirimana, le leader adjoint du parti, qui « a disparu » de sa cellule de prison à Mpanga, dans le sud du Rwanda, en octobre 2018 et est toujours porté disparu.

Trois autres personnes -- Théophile Ntirutwa, Venant Abayisenga et Léonille Gasengayire -- ont été acquittées de tous les chefs d'accusation et libérées. Après leur libération, ils ont accordé des entretiens filmés à des chaînes YouTube locales détaillant leur détention provisoire et décrivant les mauvais traitements et les tortures, y compris à Kwa Gacinya, un établissement de détention non officiel dans le quartier de Gikondo à Kigali, et dans les prisons de Mageragere et de Nyanza.

Venant Abayisenga a été porté disparu en juin après qu'il est sorti acheter du crédit pour son téléphone portable, et on craint qu'il ait fait l'objet d'une disparition forcée ou qu'il soit mort. Théophile Ntirutwa a été arrêté à nouveau après une attaque de sa boutique dans le district de Rwamagana le 11 mai. Le 18 mai, Théophile Ntirutwa et trois autres personnes présentes dans sa boutique au moment de l'attaque ont été inculpés de crimes incluant le meurtre, le vol et la « propagation de fausses informations dans le but de créer une opinion internationale hostile à l'État rwandais ». Leur procès n'a pas encore commencé.

En 2019, trois membres des FDU-Inkingi ont été portés disparus ou retrouvés morts dans des circonstances suspectes. Outre Anselme Mutuyimana, Syldio Dusabumuremyi, le coordinateur national du parti, a été poignardé à mort en septembre. Eugène Ndereyimana, un autre membre du parti, a été porté disparu le 15 juillet, sans jamais être arrivé à une réunion à Nyagatare, dans la province de l'Est. En mars 2016, Illuminée Iragena, une militante politique et membre des FDU-Inkingi, a été portée disparue, très probablement à la suite d'une disparition forcée dans un centre de détention non officiel du gouvernement.

« Les méthodes brutales du Rwanda pour réprimer la dissidence suscitent de grandes inquiétudes quant à la sécurité et au bien-être de toute personne arrêtée », a conclu Lewis Mudge. « Les partenaires internationaux du Rwanda devraient condamner publiquement la répression et le bilan déplorable du Rwanda en matière de droits humains, et devraient faire pression pour la libération immédiate et sans conditions du groupe. »

Distribué par APO Group pour Human Rights Watch (HRW).