Source: United Nations Office at Geneva (UNOG) |

Le Comité contre la torture examine le rapport du Sénégal

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Sénégal et les rendra publiques à l'issue de la session, le 18 mai prochain

GENEVA, Suisse, 27 avril 2018/APO Group/ --

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Sénégal sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
 

Présentent ce rapport, M. Coly Seck, Représentant permanent du Sénégal auprès des Nations Unies à Genève, a indiqué que son pays avait entendu mettre en œuvre la Convention par l’insertion, dans le Code pénal, de l’article 295-1, lui-même inspiré des articles 1 et 4 de la Convention et qui retient une acception large de la torture.  La loi a ensuite été complétée pour consacrer la compétence universelle des juridictions sénégalaises, notamment en matière de torture, a-t-il ajouté.  L’adoption de nouvelles dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relativement aux crimes visés par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale a contribué à consolider le dispositif de protection des droits de l’homme au Sénégal, a en outre fait valoir le Représentant permanent.  Ces mesures, a-t-il expliqué, s’ajoutent à d’autres qui touchent notamment au réaménagement de la garde à vue au profit d’une meilleure protection des droits de la personne mise en cause.  Depuis 2016, la loi renforce le droit à l’assistance d’un avocat dès l’interpellation, a par ailleurs fait valoir M. Seck.

Outre l’incrimination de la torture dans le droit national, a poursuivi le Représentant permanent, le Sénégal a la ferme volonté de mettre en œuvre ses engagements internationaux, comme en témoigne la décision de poursuivre les auteurs de crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990.  Pour ce faire, le Sénégal a adopté toutes les mesures législatives afin d’établir sa compétence.  Pour parachever ce processus, le Sénégal a signé, en 2012, l’Accord (avec l’Union africaine) portant création des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, a rappelé M. Seck.  Lesdites Chambres ont poursuivi et jugé l’ancien président du Tchad qui a été condamné pour crime de guerre, crime contre l’humanité et torture, a-t-il souligné.  Le Sénégal est l’un des rares pays ayant érigé la torture en crime autonome contre l’ordre public, a d’autre part fait valoir le Représentant permanent.

M. Seck a ensuite mis en avant la création en 2009 de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté, en application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention que le Sénégal a ratifié en 2006.  Des efforts continuent d’être faits pour désengorger certaines prisons, a ajouté le Représentant permanent.  Au Sénégal, la répression des actes de torture est effective, a-t-il assuré: des officiers de police judiciaire ont été traduits en justice et sanctionnés après avoir été poursuivis pour ce chef d’accusation.  M. Seck a informé le Comité d’autres progrès importants accomplis par son pays, citant notamment l’abolition de la peine de mort en 2004; la création d’une Cellule nationale de lutte contre la traite de personnes; la modernisation des écoles coraniques avec le soutien d’organisations non gouvernementales nationales et internationales ; ou encore des programmes de retrait des enfants de la rue.  

La délégation sénégalaise était également composée, entre autres, de représentants des Ministère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, de l’intérieur, de la justice, des forces armées, de la santé et de l’action sociale, ainsi que de l’Inspecteur général de l’Administration pénitentiaire de Dakar.

La délégation a répondu aux questions des membres du Comité s’agissant, notamment, de la garde à vue et des garanties de procédure ; de la pratique dite du « retour de parquet » ; de la définition de la torture et des peines encourues pour ce délit ; de la détention préventive ; des peines alternatives à la privation de liberté ; des conditions carcérales ; des décès d’Amadou Dame Ka et de Boubacar Ndong ; ou encore de la législation relative aux réfugiés et aux apatrides.  

M. Sébastien Touzé, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Sénégal, a constaté que si des améliorations notables avaient été apportées au régime de la garde à vue au Sénégal, deux facteurs pratiques compromettaient la réalisation effective des garanties intégrées à la législation sénégalaise : d’une part, le faible nombre d’avocats en exercice au Sénégal (350 pour 15 millions d’habitants) et, d’autre part, la répartition géographique des avocats, qui se trouvent principalement concentrés à Dakar.  Le corapporteur a en outre relevé plusieurs points inquiétants s’agissant de la situation dans les prisons sénégalaises, au premier rang desquels la surpopulation carcérale, le pays comptant aujourd’hui plus de 10 000 détenus, contre 4891 en 2000.  

M. Claude Heller Rouassant, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Sénégal, s’est pour sa part dit préoccupé par la situation des 50 000 enfants talibés vivant dans des écoles coraniques par lesquelles ils sont exploités et souvent réduits à la mendicité.  La loi sénégalaise définit le terrorisme de manière très extensive, ouvrant la voie à toutes sortes d’interprétations et accordant ainsi aux autorités des pouvoirs très étendus en matière d’arrestation, de détention, d’enquête et de confiscation de biens, a par ailleurs fait observer M. Heller Rouassant.  

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Sénégal et les rendra publiques à l'issue de la session, le 18 mai prochain.

Le Comité entamera demain matin à 10 heures l’examen du rapport du Bélarus.

Présentation du rapport du Sénégal

Le Comité était saisi du quatrième rapport périodique du Sénégal, préparé sur la base d’une liste de questions soumise par le Comité.

Présentent ce rapport, M. COLY SECK, Représentant permanent du Sénégal auprès des Nations Unies à Genève, a indiqué que son pays avait entendu mettre en œuvre la Convention par l’insertion, dans le Code pénal, de l’article 295-1, lui-même inspiré des articles 1 et 4 de la Convention et qui retient une acception large de la torture.  La loi a ensuite été complétée pour consacrer la compétence universelle des juridictions sénégalaises, notamment en matière de torture, a-t-il ajouté.  L’adoption de nouvelles dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relativement aux crimes visés par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale a contribué à consolider le dispositif de protection des droits de l’homme au Sénégal, a en outre fait valoir le Représentant permanent.  Ces mesures, a-t-il expliqué, s’ajoutent à d’autres qui touchent notamment au réaménagement de la garde à vue au profit d’une meilleure protection des droits de la personne mise en cause.  Depuis 2016, la loi renforce le droit à l’assistance d’un avocat dès l’interpellation, a par ailleurs fait valoir M. Seck.

Outre l’incrimination de la torture dans le droit national, a poursuivi le Représentant permanent, le Sénégal a la ferme volonté de mettre en œuvre ses engagements internationaux, comme en témoigne la décision de poursuivre les auteurs de crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990.  Pour ce faire, le Sénégal a adopté toutes les mesures législatives afin d’établir sa compétence.  Pour parachever ce processus, le Sénégal a signé, en 2012, l’Accord (avec l’Union africaine) portant création des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, a rappelé M. Seck.  Lesdites Chambres ont poursuivi et jugé l’ancien président du Tchad qui a été condamné pour crime de guerre, crime contre l’humanité et torture, a-t-il souligné.  Le Sénégal est l’un des rares pays ayant érigé la torture en crime autonome contre l’ordre public, a d’autre part fait valoir le Représentant permanent.

M. Seck a ensuite mis en avant la création en 2009 de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté, en application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention que le Sénégal a ratifié en 2006.  L’Observatoire est une autorité administrative indépendante qui vient parachever le mécanisme national de prévention (de la torture) ; il n’a d’instruction à recevoir d’aucune autorité et a pour missions de visiter, à tout moment, tout lieu de privation de liberté sur le territoire national, d’émettre des avis et formuler des recommandations à l’intention des autorités publiques et de proposer au Gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables.  L’Observatoire a reçu la visite en 2012 du Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture, dont il est l’interlocuteur privilégié, a précisé M. Seck.

Des efforts continuent d’être faits pour désengorger certaines prisons, a poursuivi le Représentant permanent.  À cela s’ajoutent des mesures alternatives à l’incarcération, telles que le sursis, la probation, la dispense de peine, la semi-liberté, ou encore la libération conditionnelle, a-t-il précisé.

Au Sénégal, la répression des actes de torture est effective : des officiers de police judiciaire ont été traduits en justice et sanctionnés après avoir été poursuivis pour ce chef d’accusation, a par ailleurs souligné M. Seck.  L’aménagement de voies de recours permet à tout individu de saisir les tribunaux pour tout cas de torture et les autorités sont tenues de donner suite à toute allégation de torture, a précisé le Représentant permanent du Sénégal.  

M. Seck a informé le Comité d’autres progrès importants accomplis par son pays, citant notamment l’abolition de la peine de mort en 2004; la création d’une Cellule nationale de lutte contre la traite de personnes; la modernisation des écoles coraniques avec le soutien d’organisations non gouvernementales nationales et internationales ; ou encore des programmes de retrait des enfants de la rue.  

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. SÉBASTIEN TOUZÉ, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Sénégal, a regretté que le Comité n’ait reçu aucune information de la part de l’institution nationale de droits de l’homme et du mécanisme national de prévention de la torture du Sénégal.  Cela amène à s’interroger sur la place laissée à ces institutions au niveau national, a-t-il fait observer.  

M. Touzé a ensuite relevé que le projet de nouvelle définition légale de la torture dans le Code pénal ne reprend pas intégralement les éléments figurant à l’article premier de la Convention ; il y manque en effet la mention des actes « visant à obtenir des renseignements, à punir, à intimider ou à faire pression sur une tierce personne ».  D’autre part, le projet prévoit des peines qui semblent relativement faibles au regard de la gravité des actes qu’elles sont supposées sanctionner.  

M. Touzé s’est par ailleurs enquis des sanctions qui peuvent être – et qui ont effectivement été – prononcées à la suite de condamnations pour des actes prohibés par la Convention.
 
L’expert a constaté que des améliorations notables avaient été apportées au régime de la garde à vue ; il a cependant prié la délégation de dire si l’obligation qui est faite à l’officier de police judiciaire de faire connaître à toute personne les motifs de sa garde à vue prenait effet dès le moment de la privation de liberté ou si elle devait être accomplie pendant les premières 48 heures.  La même question se pose s’agissant du droit d’accès à un avocat et du droit de bénéficier d’un examen médical, a souligné M. Touzé.  Il a fait observer que deux facteurs pratiques compromettent la réalisation effective des garanties intégrées à la législation sénégalaise : d’une part, le faible nombre d’avocats en exercice au Sénégal (350 pour 15 millions d’habitants) et, d’autre part, la répartition géographique des avocats, qui se trouvent principalement concentrés à Dakar.  

Le corapporteur a par ailleurs voulu savoir si le conseil juridique peut être présent physiquement pendant toute la durée de la garde à vue ou si son intervention se limite à l’entretien de 30 minutes (avec le suspect) prévu par la loi.  La loi stipule que la présence physique de l’avocat est garantie, a insisté M. Touzé, s’interrogeant sur l’effectivité de cette garantie dans la pratique.

M. Touzé a ensuite demandé à la délégation si elle était en mesure de confirmer qu’au Sénégal, la garde à vue peut atteindre quatre jours, voire être doublée pour ce qui concerne les crimes et délits contre la sûreté de l’État, et même portée à douze jours dans les affaires de terrorisme.  L’expert a voulu savoir ce qu’il advenait de la présence de l’avocat lorsque la garde à vue se prolonge au-delà de 24 heures.  Il a également prié la délégation de dire si les mêmes délais de garde à vue s’appliquaient aux mineurs.  S’agissant du droit d’être examiné par un médecin indépendant, M. Touzé a dit ne pas comprendre pourquoi l’examen est obligatoirement aux frais de la personne détenue – un fait qui pose le problème général de l’accès à ce service.  

M. Touzé a constaté que la pratique dite du « retour de parquet » – consistant à envoyer dans un commissariat un justiciable qui ne pourrait être présenté devant le procureur au terme de la garde à vue – était toujours possible au Sénégal.  Au regard du faible nombre de magistrats et des lenteurs des procédures, c’est une pratique particulièrement répandue et qui a déjà donné lieu à des recommandations du Comité dans le cadre de ses dernières observations finales en date adressées au pays, a souligné M. Touzé.

S’agissant des conditions de détention, M. Touzé a déclaré que la situation dans les prisons sénégalaises était une préoccupation majeure.  Plusieurs points sont très inquiétants, au premier rang desquels la surpopulation carcérale, a-t-il précisé.  On compte aujourd’hui plus de 10 000 détenus, contre 4891 en 2000, a indiqué l’expert, ajoutant que les personnes placées en détention préventive représentent 45% des personnes détenues, une proportion particulièrement élevée.  Le corapporteur a demandé des précisions sur les modalités pratiques et sur la durée moyenne de la détention préventive – dont la durée excède parfois la peine encourue par le prévenu, a-t-il fait observer.

M. Touzé a jugé problématiques les conditions générales de détention et les garanties accordées aux détenus.  Chaque personne est soumise à une fouille intégrale et dans le centre de Rebeuss, la fouille se fait en groupe, sans égards pour l’intimité des détenus.  Le mécanisme national de prévention (MNP) sénégalais a conclu que la fouille intégrale à l’admission n’était pas conforme aux normes et se pratiquait dans des conditions attentatoires à la dignité humaine, a fait observer M. Touzé.  Il a en outre fait part de ses préoccupations concernant les conditions sanitaires et hygiéniques en prison.  L’expert a cité à ce propos un rapport du MNP mettant en cause l’architecture des prisons comme étant non conforme aux normes, dénonçant le surpeuplement chronique [des lieux de détention] et insistant sur la nécessité de renforcer les capacités du personnel concerné pour ce qui est des droits de l’homme des personnes privées de liberté.  

M. Touzé a ensuite prié la délégation sénégalaise de dire combien de détenus étaient décédés en prison en 2016 et 2017.  Il a relevé que, selon des informations rapportées par la société civile, il y aurait des cas de décès provoqués par des actes de torture et de mauvais traitements ; selon ces mêmes informations, lorsque des personnels sont mis en cause, les enquêtes sont inefficaces et les sanctions ne sont pas proportionnées à la gravité des infractions.  L’expert a voulu savoir si des enquêtes avaient été menées sur les allégations de traitements cruels, inhumains et dégradants administrés, selon le rapport déjà cité du MNP, dans la prison de Rebeuss.  

M. Touzé a en outre voulu savoir si le Sénégal envisageait de permettre à l’Observatoire national des lieux de privation de liberté de visiter aussi les prisons gérées par l’armée et s’il était prévu de laisser cette institution (l’Observatoire) recruter et gérer son propre personnel.  

Le corapporteur a d’autre part observé que le rapport du Sénégal contenait peu d’informations sur les enquêtes et condamnations à la suite d’allégations d’actes de torture, du fait du manque de statistiques disponibles, alors que dans les faits, il y a eu un certain nombre de cas d’allégations de torture, de décès en détention et d’usage excessif de la force.  

M. Touzé a par la suite fait observer que le projet de loi visant à modifier le Code pénal que la délégation a mentionné au cours du présent dialogue était déjà à l’examen lors de la présentation du précédent rapport du Sénégal.  Aussi, le corapporteur a-t-il prié la délégation de dire si elle pouvait donner un calendrier pour l’adoption de ce projet.  

Le corapporteur a en outre demandé à la délégation de dire quelles mesures concrètes sont prises pour remédier aux difficultés rencontrées par les personnes analphabètes dans leurs rapports avec la loi et la justice.  L’expert s’est par ailleurs étonné que l’on compte, au Sénégal, davantage de personnes ayant bénéficié d’une mesure de grâce présidentielle que d’une décision de mise en liberté conditionnelle.  

Est-il exact que l’aide juridictionnelle est limitée aux seules accusations criminelles et qu’une personne accusée d’un délit n’y a pas droit, a d’autre part demandé M. Touzé.

L’expert a suggéré que le Sénégal tienne une liste des organisations non gouvernementales ayant fait une demande de visite de prison et de celles qui ont obtenu une réponse positive.

M. CLAUDE HELLER ROUASSANT, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Sénégal, a relevé que le Comité sénégalais des droits de l’homme avait perdu en 2012 son accréditation de conformité aux Principes de Paris, compte tenu de son manque d’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics.  En 2013, les autorités sénégalaises avaient promis de renforcer l’indépendance de cette institution, a-t-il rappelé, avant de s’enquérir des progrès réalisés dans ce sens.  Il a en outre voulu savoir où en était le projet de création d’une commission nationale des droits de l’homme au Sénégal.  

Le corapporteur a ensuite relevé que l’Observatoire national des lieux de privation de liberté devait assumer de nombreuses charges pédagogiques et de sensibilisation, en sus de ses fonctions de base.  La question se pose donc de savoir si cet Observatoire dispose des moyens financiers et humains nécessaires pour s’acquitter de sa mission.  Qu’en est-il de l’engagement de l’État pour consolider cette institution et dans quelle mesure les recommandations de l’Observatoire sont-elles suivies d’effet ?

Le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire a entraîné des accusations de procès injustes de la part d’organisations non gouvernementales et d’avocats, a poursuivi M. Heller Rouassant.  Cela a été le cas lors du procès de Khalifa Sall, chef de l’opposition et maire de Dakar, qui a vu son immunité parlementaire levée à la demande du Parquet.  M. Sall a été condamné à cinq ans de prison le 30 mars dernier et a fait appel de ce jugement, dans le contexte de l’élection présidentielle de 2019, a rappelé le corapporteur.

M. Heller Rouassant s’est ensuite dit préoccupé par la situation des 50 000 enfants talibés vivant dans des écoles coraniques par lesquelles ils sont exploités et souvent réduits à la mendicité.  La délégation a été priée de donner des informations sur les enquêtes menées contre les auteurs de ces abus.  L’expert a recommandé à l’État sénégalais de lutter fermement contre ce phénomène et contre l’impunité dont jouissent les personnes qui en sont responsables.  

Quinze personnes sont mortes en Casamance en 2018, en lien avec les activités de groupes rebelles dans cette région, a par ailleurs relevé M. Heller Rouassant.  Il a prié la délégation de fournir des informations sur la situation des personnes qui ont été détenues suite à ces événements.  

Le Sénégal accueille actuellement 14 000 réfugiés, en provenance essentiellement d’autres pays africains, a poursuivi M. Heller Rouassant.  Plus de 2900 demandes d’asile sont pendantes.  Le processus d’examen est très lent ; les requérants doivent parfois attendre plus de trois ans, sans possibilité de recours, a souligné le corapporteur.  Il a demandé si le projet de nouvelle loi sur l’asile avait été adopté.  

M. Heller Rouassant a rappelé que l’exode massif de migrants africains clandestins vers l’Europe avait incité le Sénégal à passer, en 2006, un accord de coopération avec l’Espagne, avec laquelle le Sénégal a mis en place un dispositif de lutte contre l’émigration clandestine, impliquant l’agence européenne FRONTEX.  Or, des organisations non gouvernementales ont dénoncé des détentions arbitraires de migrants résultant, selon elles, de la coopération entre les forces de l’ordre du Sénégal et l’agence européenne, a dit M. Heller Rouassant.  

L’expert a prié la délégation d’informer le Comité de la suite donnée par le Sénégal au recours déposé par M. Hissène Habré, en janvier 2017, contre sa condamnation à perpétuité par les Chambres africaines extraordinaires sises à Dakar.  

M. Heller Rouassant a également demandé à la délégation de fournir des informations actualisées sur les sanctions infligées aux personnes reconnues coupables d’actes de torture ou de mauvais traitements.  Il a regretté la faiblesse des dispositifs officiels de soutien et d’indemnisation pour les victimes de ces actes, y compris les personnes victimes de détention de longue durée.  L’expert a regretté en particulier que la loi ne rende pas obligatoire cette indemnisation.  

Le Comité est conscient du fait que le Sénégal se trouve dans une région en proie aux attaques terroristes, a assuré M. Heller Rouassant.  Il n’en demeure pas moins que la loi sénégalaise définit le terrorisme de manière très extensive, ouvrant la voie à toutes sortes d’interprétations et accordant ainsi aux autorités des pouvoirs très étendus en matière d’arrestation, de détention, d’enquête et de confiscation de biens, a-t-il poursuivi.  Il a cité le cas de l’imam Alioune Badara Ndao, arrêté en 2015 et placé en détention provisoire depuis lors pour actes et apologie de terrorisme ; le détenu ne peut prendre l’air que trente minutes par jour et n’a pas pu consulter de médecin suite à une maladie.  Le refus d’accès à un traitement médical et l’isolement de détenus constituent des mauvais traitements selon la jurisprudence du Comité associée à la Convention contre la torture, a rappelé M. Heller Rouassant.

M. Heller Rouassant a en outre fait remarquer que la composition du Conseil supérieur de la magistrature – qui a à sa tête le Président de la République – jetait une ombre sur l’indépendance du système judiciaire.  

Le corapporteur a par ailleurs voulu savoir si projet de loi sur le statut des réfugiés tenait compte du principe de non-refoulement [qui interdit le renvoi de personnes vers des pays où elles risqueraient de subir la torture].  Il a relevé que 467 demandes d’asile avaient obtenu une issue favorable en 2015 et a demandé à la délégation de préciser combien de demandes au total avaient été déposées, à l’origine, cette année-là.  

Une experte du Comité s’est interrogée sur les raisons de la pratique persistante du « retour de parquet », qui est appliquée sans justification ni possibilité de recours.  Cette pratique constitue une violation des droits de la personne, a-t-il été souligné.  

Un autre membre du Comité a rappelé que le jugement de M. Hissène Habré au Sénégal était à mettre au compte du Comité contre la torture, qui avait eu à traiter, le premier, d’une communication sur cette affaire, en 2006.  Soulignant que la compétence universelle s’applique non seulement au plan pénal, mais aussi au civil, cet expert s’est enquis de la manière dont s’applique la responsabilité de l’État sénégalais dans ce deuxième cas (c’est-à-dire au civil), qui concerne les réparations dues aux victimes et à leurs familles.  Une experte a prié la délégation de préciser quelles mesures concrètes avaient été prises à cet égard.  

Une autre experte a insisté sur l’importance des statistiques, qui permettent aux États de formuler des politiques plus efficaces et au Comité d’évaluer ensuite leurs effets.  Elle a donc salué le fait que le rapport sénégalais contienne désormais des statistiques sur les affaires jugées s’agissant d’actes de torture ou de violence contre les femmes (paragraphes 68 à 75), mais a recommandé que les données chiffrées soient plus complètes et mieux contextualisées, afin de permettre une meilleure évaluation.  L’experte a voulu savoir si les personnes condamnées pour viol collectif qui sont mentionnées au paragraphe 102 du rapport avaient effectivement été sanctionnées.  Elle s’est en outre enquise des mesures que l’État compte prendre pour lutter contre le problème de la violence sexiste au Sénégal et contre les abus sexuels commis dans les écoles par des enseignants – abus auxquels les jeunes filles sont très exposées.  

Un expert s’est enquis des sommes dont dispose le fonds d’indemnisation prévu par le Statut des Chambres africaines extraordinaires.  Il a souligné que l’indemnisation des victimes était urgente, compte tenu de l’ancienneté des crimes.  

Le Président du Comité, M. Jens Modvig, s’est enquis du nombre de médecins et d’infirmières engagés par les autorités sénégalaises pour apporter les services de santé dans les prisons.  Il a insisté sur l’importance de l’examen médical mené dès le début de la détention, afin de pouvoir détecter d’éventuelles traces de torture ou de mauvais traitements ayant pu être infligés pendant la garde à vue ou durant la détention provisoire.  M. Modvig a voulu savoir si le personnel infirmier était formé à la détection de ces indices et à quelle autorité ce personnel devait dénoncer les faits constatés.  Il a par la suite insisté pour savoir si les personnels soignants dans les prisons avaient les moyens de dénoncer des actes de torture qu’ils auraient détectés.  

Réponses de la délégation

Le Sénégal accorde une place importante aux institutions de droits de l’homme et aux organisations de la société civile, qui sont très impliquées dans le suivi et la mise en œuvre des recommandations du Comité, a souligné la délégation.  La société civile, notamment le Comité sénégalais des droits de l’homme, est ainsi invitée à participer à la quasi-totalité des activités de mise en œuvre, a-t-elle insisté.  

La lenteur dans l’adoption des projets de loi n’est pas due à un manque de volonté politique, mais à la volonté de procéder à des consultations élargies pour ne pas prendre de décision précipitée, a assuré la délégation.  

S’agissant de la définition de la torture retenue par le Sénégal, la délégation a indiqué avoir pris note de l’observation du Comité selon laquelle elle ne tient pas compte de tous les éléments figurant à l’article premier de la Convention.  La réforme en cours du Code pénal tiendra compte de cette observation, a assuré la délégation.  Quant aux peines encourues pour les actes relevant du délit de torture, elles vont de 5 à 10 ans d’emprisonnement, ce qui, de l’avis de la délégation, est une quotité suffisante.  Mais la torture peut aussi être érigée en crime international, conformément au Statut des Chambres africaines extraordinaires: la peine maximale encourue est alors de 30 ans de prison, a ajouté la délégation.  Pour ce qui concerne l’indemnisation des victimes [de Hissène Habré], le fonds adéquat est fixé par le Statut des Chambres africaines extraordinaires.  Le mécanisme résiduel de réparation est confié à la Cour d’appel de Dakar et à la Cour d’appel de Ndjamena, a indiqué la délégation.  Elle a ensuite confirmé que les 40 000 victimes de Hissène Habré étaient impatientes, étant donné que les faits remontent aux années 1980.  Les autorités en charge du fonds d’indemnisation ont lancé des appels aux États pour qu’ils apportent leurs contributions à ce fonds, a ajouté la délégation.

Le juge n’a pas le droit d’infliger une peine de moins de deux ans d’emprisonnement à tout policier convaincu d’acte de torture, a d’autre part indiqué la délégation.

La délégation a par ailleurs fait état d’un recul modeste mais constant des mutilations génitales féminines, grâce aux efforts de sensibilisation déployés par l’État.  

L’analphabétisme peut constituer pour la victime un facteur de méconnaissance de ses droits, notamment pour ce qui est de son droit d’ester en justice, a d’autre part expliqué la délégation.  Elle a par la suite précisé que les palais de justice disposent de service d’accueil qui peuvent offrir des services administratifs aux personnes analphabètes, afin de les accompagner dans les procédures.  L’aide juridictionnelle est offerte à toute personne ayant besoin d’un avocat et d’autres mesures de soutien vont être prises pour l’ensemble des étapes de la procédure, notamment à travers la prise en charge des frais d’huissier, par exemple.  L’assistance d’un avocat est obligatoire en matière criminelle, a ajouté la délégation, avant de rappeler que des interprètes sont disponibles durant les procédures judiciaires.  

En modifiant l’article 55 du Code pénal, le législateur a clairement tenu à préciser qu’afin de renforcer les droits de la défense, il apparaissait nécessaire d’admettre la présence de l’avocat dès l’interpellation, a poursuivi la délégation.  L’officier de police judiciaire informe systématiquement la personne arrêtée de son droit à un avocat et les avocats accèdent sans difficulté aux commissariats, a-t-elle fait valoir.  L’avocat peut être présent pendant toute la durée de la procédure : son client et lui peuvent se consulter pendant trente minutes, après quoi l’avocat assiste au reste de la procédure de manière passive, ne pouvant notamment pas souffler de réponses à la personne interrogée ni répondre à sa place.  La délégation a indiqué qu’aucun refus de présence d’un avocat n’a été enregistré à ce jour.

S’agissant des effectifs d’avocats, le barreau de Dakar a pris des mesures pour augmenter les recrutements et mieux répartir les praticiens sur l’ensemble du territoire sénégalais, a ajouté la délégation.  La délégation a ensuite précisé que le recrutement des avocats se fait par examen et non par concours.  Il est question d’organiser désormais un examen par an, plutôt que tous les deux ans, a-t-elle ajouté.

Le Conseil supérieur de la magistrature est composé de 17 membres, dont le Président de la République et le Ministre de la justice, seuls membres du pouvoir exécutif à en faire partie, les autres membres dudit Conseil étant tous des magistrats.  Les décisions sont prises à la majorité des membres, a rappelé la délégation.

Au Sénégal, la garde à vue dure normalement 48 heures, renouvelables par le procureur compétent, a rappelé la délégation.  La durée de garde à vue peut être portée à 96 heures dans les affaires de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’État ou à la sécurité publique, par exemple, mais même dans ces cas, les conditions matérielles qui président à la garde à vue de 48 heures restent applicables, a indiqué la délégation, avant d’ajouter que les personnes concernées par ce régime peuvent être gardées à vue plus longtemps encore sur demande de l’officier de police judiciaire et avec l’accord du procureur.  En matière de terrorisme, la durée de la garde à vue a été étendue, comme cela est le cas dans d’autres pays, afin de permettre aux enquêteurs de bien faire leur travail ; la présence d’un avocat n’est pas remise en cause par cette mesure, a précisé la délégation.  

Toujours s’agissant de la garde à vue, la délégation a souligné que toute infraction aux règles en vigueur peut donner lieu à un recours.  La délégation a donné sept exemples de décisions judiciaires ayant annulé un placement en garde à vue pour manquement au respect de droits du détenu.

Le procureur peut décider de placer une personne suspecte en détention en cas de flagrant délit seulement: dès lors qu’une instruction a été ouverte, seul le juge d’instruction peut décider de détenir ou de libérer un suspect, a expliqué la délégation.  

Il n’est pas fait recours systématiquement à la détention préventive, qui est limitée à des cas précis et à une durée de six mois, a d’autre part souligné la délégation.  Dans de nombreux cas, les magistrats instructeurs libèrent provisoirement le suspect, a-t-elle indiqué.  

Le fait que le nombre de grâces présidentielles soit supérieur à celui des libérations conditionnelles s’explique par le caractère discrétionnaire des premières et par la rigueur qui préside à l’octroi des secondes, a indiqué la délégation.  

Dans la pratique, les mineurs retenus par la police ne sont pas placés dans les cellules des commissariats, mais plutôt confiés à leurs parents, a par ailleurs assuré la délégation.  Un nombre limité de brigades disposent d’un local propre à retenir un mineur.  Dans les établissements pénitentiaires, la séparation entre adultes et mineurs est assurée: des quartiers séparés leur sont réservés.

L’examen médical effectué sur réquisition des autorités judiciaires n’engage pas de frais pour la personne concernée ; seul l’examen effectué par un médecin désigné par le justiciable entraîne des frais pour ce dernier, a expliqué la délégation.  

Le personnel médical des prisons est tenu de renvoyer vers les structures hospitalières les patients dont les besoins dépassent les capacités locales, a ensuite souligné la délégation.  

S’agissant de la santé des personnes emprisonnées, elle est prise en charge par l’État au même titre que l’alimentation, a en outre indiqué la délégation.  Les détenus souffrant de maladie mentale sont suivis par des médecins et peuvent, si nécessaire, être transférés dans un centre spécialisé, a-t-elle précisé.  Le 4 avril dernier, le Président de la République a gracié plusieurs détenus atteints de maladies graves, a-t-elle fait indiqué.  

S’agissant des fouilles intégrales, la délégation a précisé qu’elles avaient seulement pour but d’empêcher l’introduction d’objets interdits dans les prisons, et non d’humilier les prisonniers.  L’administration est en train de s’équiper de scanners électroniques, en vue de supprimer la fouille d’entrée, a fait valoir la délégation.

Le placement à l’isolement de détenus peut être justifié, notamment si le détenu présente un risque pour lui-même, a d’autre part expliqué la délégation.

La délégation a par ailleurs jugé acceptables les conditions d’hygiène dans les prisons sénégalaises et a mis en avant une augmentation substantielle des budgets consacrés à ce poste.

Les agents de l’État qui contreviennent aux dispositions de la Convention sont passibles de sanctions pénales – ou disciplinaires pour les agents des forces armées et paramilitaires, ces sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la radiation sans solde, a indiqué la délégation.  

La pratique du « retour de parquet » est exceptionnelle: elle peut intervenir en fin de journée si le juge d’instruction a besoin d’un temps de réflexion pour prendre sa décision, a indiqué la délégation.  Il a été décidé, dans le cadre de la réforme législative en cours, de mieux encadrer cette pratique, a-t-elle précisé.  

S’agissant des suites données au décès d’Amadou Dame Ka au commissariat de Thiès, évoqué par un expert, la délégation a indiqué que l’instruction était toujours en cours.  Quant au décès de Boubacar Ndong à la gendarmerie de Hann, l’enquête a confirmé qu’il s’agissait d’un suicide ; l’affaire a été classée, mais a tout de même donné lieu à des sanctions administratives.

Contre la surpopulation carcérale, le Sénégal a entrepris de construire une nouvelle prison de 1500 places et de réhabiliter d’autres établissements, a fait valoir la délégation ; les autorités entendent également miser davantage sur les peines alternatives (à l’emprisonnement).  

La délégation a indiqué que toute organisation non gouvernementale qui veut visiter une prison doit déposer une demande en ce sens auprès des autorités compétentes.

La délégation a ensuite assuré que les recommandations faites par l’Observatoire national des lieux de privation de liberté sont régulièrement suivies d’effet.  L’Observatoire est l’un des premiers outils de ce type en Afrique de l’Ouest, a-t-elle fait valoir.  

Quant à la commission nationale des droits de l’homme, qui a perdu son statut A de pleine conformité aux Principes de Paris, la délégation a indiqué que les autorités sénégalaises ont pris l’engagement – par le biais d’un projet de loi – de lui donner des moyens financiers et humains adéquats et de la détacher des pouvoirs publics afin d’assurer son indépendance.  

S’agissant de l’aménagement des peines, la délégation a indiqué que quelque 151 personnes avaient été mises en liberté conditionnelle en 2016 – un chiffre en progression constante depuis plusieurs années.

Interpellée sur la situation des membres de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), la délégation a rappelé que le fait d’être homosexuel n’était pas punissable au Sénégal.  

Le projet de loi sur les réfugiés a été validé au plan technique par l’ensemble des ministères concernés, de même que par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, a ensuite indiqué la délégation.  Ce projet de loi va remplacer l’ancien texte qui datait de 1968 et qui ne tenait pas compte des apatrides.  Le Sénégal a déjà ratifié les deux instruments internationaux relatifs à l’apatridie, a souligné la délégation.

Interpellée sur des arrestations arbitraires en Méditerranée qui résulteraient d’un accord entre le Sénégal et l’Espagne, la délégation sénégalaise a indiqué que les autorités avaient consenti beaucoup d’efforts pour limiter l’émigration clandestine, en collaboration avec Frontex, mais sur les côtes sénégalaises seulement.  La route d’émigration clandestine vers l’Europe ne passe plus par le littoral sénégalais, mais par la Libye, a souligné la délégation.  D’un autre côté, a-t-elle ajouté, un accord de 2006 avec l’Espagne et la France notamment a permis à de nombreux Sénégalais d’émigrer de manière ordonnée.

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