Source: International Federation of Human Rights (FIDH) |

FIDH - CONGO : Craintes de graves violations des droits humains à huis clos dans le Pool

PARIS, France, 26 avril 2016/APO (African Press Organization)/ --

La FIDH, l’OCDH et les organisations membres de la coalition #MonVoteDoitCompter sont extrêmement préoccupés par les opérations militaires et policières d’envergure en cours dans le département du Pool qui se seraient déjà soldées par des dizaines de morts et des blessés, la destruction de nombreux bâtiments tels que des écoles, des centres médicaux et des églises, ainsi que de nombreuses arrestations. Alors que l’accès au département du Pool est soumis à de fortes restrictions par les forces de sécurité, nos organisations s’inquiètent d’une répression menée à huis clos pour punir une partie des populations opposées à la récente réélection du président Denis Sassou Nguesso à l’issue d'une élection manifestement truquée et exigent la cessation de toutes les opérations des forces de sécurité, l’accès aux populations et de pouvoir mener des enquêtes indépendantes sur ces événements.

Depuis plus de deux semaines, l’armée et la police congolaises mènent des opérations d’envergure dans le département du Pool, officiellement contre les anciens membres de la milice Ninja et son ancien chef, Frédéric Bintsamou surnommé le Pasteur Ntumi, ancien délégué général auprès du président chargé de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre. Jusqu’au 14 avril, les forces de défense et de sécurité ont également procédé à des pilonnages à l’arme lourde et à des bombardements aériens suivis d’offensives terrestres notamment contre les villages de Vindza, Kibouendé, Soumouna et Mayama. Si les autorités assurent qu’aucune victime civile n’est à déplorer, les témoignages reçus par nos organisations font pourtant état de dizaines de morts et de blessés. De nombreux bâtiments protégés tels que des écoles, des centres médicaux et des églises auraient été touchés voire, pris pour cibles. Les populations ont quasiment toutes déserté les villes et ont cherché refuge en brousse où elles survivent dans une extrême précarité et insécurité. Parallèlement, les forces de sécurité procèdent à des vagues d’arrestations de personnes suspectées d’être d’anciens combattants Ninja, le groupe rebelle du Pasteur Ntumi. Ainsi, à Brazzaville, Kinkala et Kindamba notamment, des dizaines de jeunes désignés comme d’anciens Ninjas, le groupe rebelle du Pasteur Ntumi, ont été arrêtés après les événements du 4 avril à Brazzaville et pendant les opérations en cours dans le département du Pool, et sont toujours détenus à Brazzaville. Les autorités congolaises soumettent par ailleurs le département du Pool à un véritable blocus, empêchant tout accès non étroitement contrôlé, ce qui laisse craindre que de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire soient actuellement perpétrées à huis clos contre les populations civiles de la région.

« Les autorités congolaises doivent immédiatement mettre un terme à toutes les opérations des forces de sécurité dans le Pool et, faciliter le retour et l’accès aux populations affectées. Le huis clos actuel est inacceptable. Toute la lumière doit être faite sur les événements des dernières semaines. », a déclaré Dismas Kitenge Senga, vice-président de la FIDH.

Les autorités congolaises semblent avoir engagé ces opérations militaires dans le Pool comme une réponse aux violences survenues le 4 avril, dans la nuit, avant la validation par la Cour constitutionnelle de la victoire dès le premier tour avec plus de 60 % des voix de Denis Sassou-Nguesso à l’élection présidentielle. Ce jour, des coups de feu à l’arme lourde et automatique, ont été entendus dans les quartiers sud de Brazzaville. Les violences se sont notamment caractérisées par une attaque contre une caserne militaire, l’incendie de deux postes de police et d’un bâtiment de la mairie ainsi que la fuite de plusieurs centaines de personnes tentant de rejoindre le nord de Brazzaville. Les violences survenues à Brazzaville entre le 4 et le 10 avril auraient fait au moins 17 morts et plusieurs dizaines de blessés, selon diverses sources.

Les autorités n’ont en revanche communiqué aucun bilan de ces violences qualifiées « d’action terroriste » commise selon elles par des éléments de la milice rebelle Ninja, sous le contrôle du Pasteur Ntumi. Alors que les autorités congolaises justifient leurs opérations dans le Pool en l’inscrivant dans une lutte contre le terrorisme, le Pasteur Ntumi a nié, dans un communiqué publié le 5 avril, toute implication dans les événements du 4 avril à Brazzaville. Plusieurs dizaines de personnes, présentées comme des combattants Ninjas et suspectés d’être à l’origine des attaques,  auraient été arrêtées par la police dans les jours qui ont suivi les violences. La série d'arrestations de personnalités, dont des cadres des directoires de campagne des candidats Jean-Marie Michel Mokoko et Okombi Salissa, accusés « d’atteinte à la sûreté de l’État » continue également.

« La confiscation du pouvoir et l’impossibilité de l’alternance à la tête de l’État renforcent les frustrations de la population et les tentations d’une contestation radicale du régime en place. L’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme à des fins de répression politique et contre des populations entières risque de dégénérer en véritable crise, voire de faire replonger le pays dans la guerre civile. Pour éviter le chaos, le gouvernement doit libérer les opposants, ouvrir un dialogue politique inclusif et s’engager à respecter les libertés publiques et individuelles. » a déclaré Trésor Nzila, directeur exécutif de l’OCDH.

Après 32 ans au pouvoir, Denis Sassou-Nguesso a été investi, le 16 avril dernier, pour un nouveau mandat de cinq ans, à la suite d’un scrutin qui s’est déroulé en l’absence de télécommunication dans tout le pays – suspendues pour des raisons de sûreté générale d’après le gouvernement – et qui a été largement entaché de fraudes et d’irrégularités, dénoncées par l’opposition et la société civile congolaises, ainsi qu’une partie de la communauté internationale dont le Canada, les États-Unis et l’Union européenne. La « réélection » de Denis Sassou Nguesso s’est faite au prix d’un passage en force et au mépris de toute légalité constitutionnelle et des textes de l’Union africaine. Empêché de se présenter par les dispositions de la précédente Constitution, le régime au pouvoir a organisé, le 25 octobre 2015, moins de cinq mois avant l’élection présidentielle, un référendum pour faire adopter une nouvelle Constitution entrée en vigueur le 6 novembre 2015 et permettant au président de se représenter pour de nouveaux mandats. En avançant de plusieurs mois la tenue du scrutin et en organisant la victoire du président en place par « un coup K.O » selon la formule consacrée par plusieurs chefs d’États africains, le régime a organisé un véritable coup de force et achevé le dévoiement des institutions de l’État.

« La période pré-électorale a été marquée par de nombreuses violations des droits humains et atteintes aux libertés fondamentales, notamment à l’encontre des militants de l’opposition qui ont subi de multiples arrestations et détentions. Le régime de Denis Sassou-Nguesso a répondu à la mobilisation de l’opposition et de la société civile contre la modification de la Constitution par la répression. L’élection présidentielle passée, les intimidations se poursuivent et les libertés restent confisquées dans ce qui apparaît comme une claire stratégie d’intimidation et de musellement des voix contestataires », ont déclaré nos organisations.

Contexte

Le président Denis Sassou Nguesso a été investi le 16 avril 2016 pour un troisième mandat présidentiel à l’issue d’une élection contestée. Le 22 septembre 2015, il a exprimé sa volonté de tenir un référendum pour décider d’un « changement » de la Constitution en vigueur depuis 2002, ceci pour lui permettre de briguer un troisième mandat présidentiel successif. Les opposants, qui y voyaient une tentative de coup d’État constitutionnel, se sont massivement mobilisés et ont été sévèrement réprimés les 20 et 21 octobre 2015, entraînant la mort d’au moins une vingtaine de personnes à Brazzaville, Pointe Noire et d’autres localités du pays selon le bilan établi par l’OCDH et la FIDH

Denis Sassou Nguesso est au pouvoir depuis 1979. En 1992, il perd les premières élections pluralistes avant de revenir au pouvoir par les armes en 1997 à la suite de deux années d’instabilité dont la guerre civile de 1997 qui fait entre 4 000 et 10 000 morts ainsi que des milliers de déplacés et réfugiés. Au cours de ces années, les milices Cobras de Denis Sassou Nguesso affrontent successivement les forces armées congolaises et les milices Zoulous et Cocoyes du chef de l’État Pascal Lissouba puis les milices Ninjas du premier ministre Bernard Kolélas. L’intervention des forces armées angolaises de José Eduardo Dos Santos lui permet de l’emporter militairement et de reprendre le pouvoir. Les combats reprennent contre les milices Ninjas dirigées par le Pasteur Ntumi dans la région du Pool qui devient inaccessible et où la population civile est victime de nombreuses exactions. En 1999, les services de sécurité du régime sont accusés d’avoir éliminés plus de 300 disparus du Beach de Brazzaville, des réfugiés retournant au Congo. Une affaire toujours pendante devant la justice française. Depuis, les élections de 2002, le président Denis Sassou Nguesso est réélu à la faveur d’élections contestées.

« Mon vote doit compter »

Entre 2014 et 2016, 52 élections dont 25 élections présidentielles doivent se tenir dans 27 pays africains. Pour éviter les manipulations, fraudes et violences dues aux élections tronquées, la société civile africaine et internationale a décidé de se mobiliser au sein de la coalition « Mon vote doit compter ». Les sociétés civiles exigent des gouvernants qu’ils respectent leur droit légitime à choisir librement leurs représentants à l’occasion d’élections régulières, libres, et transparentes, par une mobilisation publique, des actions de terrains et un plaidoyer politique en amont de chaque scrutin jusqu’en 2016.

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