Source: African Union Peace and Security Department |

Discours de S.E.M Monsieur Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine: Parlement Européen, Strasbourg, le 16 mai 2017

"La colonisation de l’Afrique par des puissances européennes a été, assurément, un moment controversé de notre histoire en commun" - Moussa Faki Mahamat

Le respect mutuel, l’égalité, la liberté et la solidarité sont les repères et le jalon inaltérables d’une relation solide, durable, mutuellement avantageuse

ADDIS ABEBA, Éthiopie, 17 mai 2017/APO/ --

Discours de S.E.M Monsieur Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine: Parlement Européen, Strasbourg, le 16 mai 2017 :

Honorables Députés ;

Excellences Mesdames, Messieurs ;

Je me réjouis de l’opportunité que vous m’offrez de prendre la parole devant votre prestigieuse assemblée représentative des peuples européens dans leur diversité.

Le partenariat Afrique - Europe renforcé depuis notre premier sommet au Caire en 2000, a franchi, dans son exaltante aventure, des étapes décisives. Je suis convaincu que le prochain Sommet de novembre en cours de préparation, constituera une nouvelle étape dans notre marche vers un avenir radieux pour nos peuples.

Le couple Afrique Europe a une belle histoire où se sont, par le passé, croisées les ombres et les lumières, mais qui de nos jours, s’enorgueillit de sa vivacité, de son dynamisme et de ses promesses d’un futur à l’horizon tout en bleu. Jalons successifs d’une série d'apports, d’une rive à l’autre de la Méditerranée, l’Égypte, la Grèce, la Phénicie, Rome, Carthage, tissaient, depuis des siècles, entre nos deux Continents, la toile d’une relation indissoluble.

La colonisation tout au long de deux siècles aura mis face à face, nos cultures et nos civilisations si différentes dans leurs spiritualités et dogmes structurants, mais complémentaires dans leur humanisme et leur essentielle et impérissable inclination à la liberté.

La colonisation de l’Afrique par des puissances européennes a été, assurément, un moment controversé de notre histoire en commun. Oui, il y eut la domination, l’exploitation, l’asservissement, l’esclavage même, cette insulte exécrable à la dignité humaine dont les traces ne disparaîtront pas comme par enchantement.

Des poètes célèbres ont immortalisé cette affliction. Des penseurs et intellectuels africains et européens ont interprété et exploré ce segment de notre histoire . Des hommes politiques ont fait du procès de la colonisation et de l’hymne à la gloire de la décolonisation le paradigme de leurs doctrines libératrices. Tous ont, à juste titre, tiré les leçons adéquates pour que cela ne se répété plus jamais.

Cependant, je ne suis pas venu aujourd’hui, en passéiste, remuer le couteau dans les plaies et encore moins me laisser tenter par l’illusion d’une construction d’un destin continental en m’épanchant de l’exaltation d’un passé révolu. J’ai tout simplement voulu, en propos liminaire de mon intervention, souligner le caractère indélébile des cicatrices laissées par ce legs d’hier tel qu’il est forgé et inscrit dans la mémoire collective des peuples africains.

L’histoire de notre relation, comme toute histoire ardente et passionnelle, n’a pas eu que des ombres. Elle est aussi-heureusement- une histoire de lumières, d’échanges féconds, d’influences culturelles et spirituelles réciproques, enrichissantes, vivifiantes , émancipatrices.

Cette rencontre a, à travers les siècles contribué, à l’héritage civilisationnel qui est aujourd’hui le votre, le notre.

Mesdames Messieurs,

Notre environnement international se recompose à une surprenante et non moins inquiétante vitesse. De nouvelles puissances émergent cherchant leur place dans un monde devenu multipolaire. De nouveaux défis se posent pour lesquels le seul espoir de solution durable réside dans l’action collective et solidaire.

Dans cette restructuration d’un univers géostratégique, par ailleurs fortement mondialisé, l’Europe et l’Afrique semblent inévitablement vouées à l’entente stratégique, saisies par l’évidence, vitale, de leur communauté de destin. Leur histoire, leurs valeurs différentes mais complémentaires, leur proximité géographique qui fait de chacune le prolongement de l’autre, les y incitent et les y engage sans cesse, avec force et raison.

Mesdames Messieurs,

Pour s’épanouir et porter ses fruits, le partenariat entre l’UE et l’UA doit reposer sur des principes solides et se dessiner tous les champs à la mesure de son envergure multidimensionnelle, de ses ambitions visionnaires et de ses enjeux globaux, en constante extension.

Le respect mutuel, l’égalité, la liberté et la solidarité sont les repères et le jalon inaltérables d’une relation solide, durable, mutuellement avantageuse.

L’Afrique a rassemblé ses intelligences pour concevoir et adopter un agenda ambitieux pour les cinquante prochaines années, visant la construction d’une Afrique intégrée, prospère et en paix.

A l’examen, pareil agenda recoupe sur certaines questions essentielles, la stratégie Afrique-Europe dont nous célébrons ensemble, cette année, le dixième anniversaire. L’agenda 2063 est aujourd’hui le fanion de l'Union Africaine. C’est lui qui balise nos chemins vers le futur et jette les bases de notre coopération internationale et nos partenariats stratégiques.

Quoique l’Afrique ait été et demeure le théâtre de très nombreux conflits meurtriers dont les principaux se situent à la Corne de l’Afrique, au Sahel, au Bassin du Lac Tchad et en Afrique Centrale, les éléments de sa renaissance sont aujourd’hui tangibles.

Elle regorge de richesses, que sont ses mines, ses ressources halieutiques, ses immenses étendues arables et surtout la vitalité de sa population majoritairement jeune. Une bonne gouvernance articulée sur une vision courageuse et déterminée de l’intégration africaine, d’incitations commerciales, d’effacement des barrières douanières, d’initiatives innovantes en agriculture propre et d’énergie renouvelable, en technologie  et services, constitue un levier essentiel de la renaissance recherchée.

Son taux de croissance économique est demeuré soutenable ces dix dernières années. Viendra soutenir notre ambition, une lutte sans merci, contre l’impunité , la gabegie, la corruption, le gaspillage et le détournement des fonds publics. De ce point de vue, la priorité pour nous porte sur la mise en œuvre des instruments pertinents adoptés par les instances compétentes de notre Union et le respect par les États membres des engagements qui y sont contenus.

La réforme de l’Union Africaine décidée par le Sommet de janvier 2017 se présente comme une réelle chance de notre renaissance en ce qu’elle commande résolument une prise en charge de l’organisation par nous même. A ce titre, elle est appelée à soutenir fortement les tendances positives observées.

Notre Continent conjugue désormais toutes ses forces pour faire reculer en vue de les éradiquer les drames sociaux auxquels elle fait face à travers la sécheresse, la famine, les conflits armés et les violations des droits de l’Homme.

Ces crises et conflits placent les questions jumelles de paix et de sécurité en tête de nos priorités. Faire taire les armes à l’horizon 2020 est un objectif que nous poursuivons avec acharnement et détermination.

La lutte contre le terrorisme, le jihadisme et la radicalité est au cœur de notre engagement constant en faveur de la paix, la sécurité et la stabilité auquel nous consacrons des efforts inlassables et vigoureux, tant en prévention qu’en gestion et reconstruction post-conflit.

Nous apprécions hautement l’appui multiforme que nous apporte l’Union européenne dans ce combat à travers, notamment la Facilité de Paix.

Mesdames Messieurs,

Toutes les expertises actuelles et prospectives indiquent, avec certitude, que l’Afrique est la région du monde qui souffre le plus de la dégradation de l’environnement naturel et des changements climatiques. Les effets ravageurs sur la faune et la flore réduisent - parfois annihilent - de manière irréversible, la possibilité même de la vie dans de larges espaces du Continent. Le paradoxe atrocement déconcertant réside ici dans le fait que l’Afrique, Continent le moins pollueur de la planète, est celui qui souffre le plus des changements climatiques.

N’est-il pas, à cet égard, superflu de rappeler que l’Afrique ne bénéficie que de portions congrues des efforts et sacrifices internationaux pour contrecarrer ou, à tout le moins, soulager l’universelle menace que font peser sur l’humanité les changements climatiques. Cette question est l’un des champs de notre partenariat qui devra être désormais mieux appréhendé, mieux traité, mieux priorisé.

En rapport avec cette exigence se trouve intimement liée l’ouverture de larges couloirs aux secteurs privés africain et international. Il faut ici se féliciter que le commerce européen avec l’Afrique a augmenté ces dernières années de 50%, ramenant le volume global de l’investissement privé européen à 200 Milliards d’euros par an.

L’entreprise est le premier créateur de richesses, d’emplois et de prospérité économique. Son rôle crucial dans notre développement économique et social se taillera désormais une place de choix dans nos politiques et partenariats stratégies.

Notre profonde conscience des impératifs d’une nouvelle gouvernance économique nous encourage à nous situer dans la perspective d’une zone continentale de libre échange.

Cette conscience nous rend particulièrement attentifs et sensibles aux idées d’investissement dans le privé et de l’invention hardie d’un plan Marshall pour l’Afrique, concepts défendus opportunément par la présidence allemande du G20, à laquelle j’exprime du haut de cette prestigieuse et honorable tribune notre ferme soutien à ses démarches dans cette direction.

La jeunesse africaine représente plus de 60% de la population. Les femmes constituent quant à elles, plus de la moitié du peuplement actuel de l’Afrique. Jeunesse et dimension genre sont dans notre vision stratégique des préoccupations transversales qui arroseront tous nos programmes conduits seuls ou en partenariats avec d’autres acteurs.

La question de l’émigration  de pans entiers de nos jeunes en Europe pose un double péril : à ceux qui se jettent, aveuglement, sur les chemins du naufrage, à ceux qui sans préparation, se trouvent submergés par ses flots d’êtres humains.

Le défi que nous lance, tous, ce phénomène n’a point de solutions, à l’exception d’une seule : développer l’Afrique et réinventer pour notre jeunesse, un avenir meilleur dans le Continent. Notre partenariat trouve ici un champ, encore inexploité, d’une exceptionnelle communauté d’intérêts et d’avantages mutuels.

La diaspora, considérée dans notre vision comme la sixième région d’Afrique après celles du Sud, du Nord, de l’Est, de l’Ouest et du Centre, occupe dans notre agenda une place importante. Sa contribution multiforme au développement du Continent puise dans les ressources intellectuelles et financières qu'elle véhicule.

Mesdames Messieurs,

J’ai insisté dans les passages précédents sur les champs du partenariat qui nous sont à peu près communs. Ils sont l’essentiel du message que vous me faites l’honneur d’écouter.

Je serais cependant incomplet et ma soif ardente de vous parler à  cœur ouvert, sans fard, resterait inassouvie si je ne posais pas la question de fond du rapport à établir entre l’universalisme de notre partenariat et son relativisme.

De nombreuse questions attestent une fois posées, de nuances, voire parfois de divergences entre l’Europe et l’Afrique. Il n’est pas de mon tempérament, ni de la philosophie politique sur la base de laquelle les Chefs d’état et de Gouvernement de l’Afrique m’ont élu, de prêcher le conflit des civilisations, des cultures, des religions. Mon credo, sur ce terreau est le dialogue, la recherche du consensus, la découverte mutuelle, l’entente, la solidarité des civilisations, des cultures et des religions. Je plaide non en faveur de la construction des murs pour se protéger de l’Autre mais pour la construction des ponts pour socialiser et communier avec cet Autre.

En construisant les ponts, nous ne saurions prêcher l’uniformité et la négation des différences. Notre diversité est le moteur de notre mouvement, de notre vie, de notre dynamisme.

N’est-il pas injuste, déshonorant et nuisible d’éluder, par abus diplomatique, cette féconde diversité ?

Oui, l’Afrique a ses vues qui lui sont propres sur une série de questions. Les questions de justice pénale internationale et de la compétence universelle, les rapports entre la justice, la paix et la réconciliation.

A l’évidence, le mot d’ordre, souvent galvaudé, « aux problèmes africains des solutions africaines » ne saurait servir d’alibi ou prétexte de légitimation de déviances et autres égarements politiques. Il n’en garde pas moins cependant une brûlante actualité. Je me réjouis ici de la vigilance remarquable des sociétés civiles africaines et leur mobilisation sur la quasi totalité des champs de notre coopération.

Peut être, Honorables parlementaires, trouveriez-vous que j’ai surchargé le train de notre partenariat. J’ose espérer me protéger de ma turpitude par la fameuse formule de Jules Verne : « Rien ne se fait de grand qui ne soit une espérance exagérée »

Mesdames Messieurs,

Je vous invite à considérer que vous avez en Afrique un cœur ouvert, un esprit éveillé et des mains fermes, laborieuses mais généreusement tendues.

Je vous remercie de bien vouloir considérer cette invitation et, davantage encore, d’accepter mes vifs remerciements pour votre bienveillante attention.

Merci

Distribué par APO Group pour African Union Peace and Security Department.